Les angoisses d’une chaussure
En ce moment c’est pas le pied.
Comme me susurre ma compagne, la semelle extérieure : Je suis à cran. Je manque d’air.
Depuis quelques jours, je m’ennuie.
Posée sur une étagère ou je n’ai jusqu’à maintenant jamais eu le temps de prendre pied, j’ai devant moi un mur.
Pour le coup je suis au pied du mur.
La porte du placard s’est refermée. J’ai le sentiment d’être délaissée.
Ce n’est pas l’habitude de mon ami le randonneur. Il doit avoir un souci.
Évidement il ne m’en a pas parlé. Je n’ai pas vu venir le coup….de pied de rangement.
D’habitude je fais l’objet d’une certaine attention. Il me décrotte, me brosse avec un filet d’eau tiède, me laisse sécher à température ambiante.
Bien sûr, ça il l’a fait. Mais il est revenu me chercher.
Pour sortir en rando ? Non. Il m’a brossé à nouveau. Il a lissé mon cuir d’un film de cirage incolore .
Chose que j’apprécie évidement, mais qui est peu fréquent. Il a pulvérisé un nuage sur moi, destiné semble-t-il, à me protéger de la pluie. C’est encore plus rare.
Cela m’a donné à réfléchir.
Certes, lors de la dernière sortie, on peut dire qu’il m’avait traînée dans la boue. Mais je n’ai émis aucune plainte. Depuis plusieurs semaines je me suis habitué.
Que se passe-t-il alors, ai-je pensé ? Puis, il a glissé en moi, Sud-ouest et l’Equipe en pages froissées. Bien sûr, elles sont devenues mon quotidien. Je vais finir par me lasser.
A propos de lacets, j’ai dû en sourire mais….. Il a terminé ma toilette en confectionnant sur ma languette un nœud de rosette. J’ai ressenti la fin de quelque chose….
Aurai-je fais un faux pas ? Mon ascension a pris fin sur l’étagère du haut parmi mes congénères urbaines.
De cet espace où l’on me confine, j’aurais du mal à tourner les talons et à m’enfuir.
Je dois me contenter de mes souvenirs. Jusqu’à ce jour, nul n’aurait pu dire que je ne mettais pas un pied devant l’autre. J’ai toujours répondu présent.
Quand à subodorer que je ne lui arrivais pas à la cheville, c’eût été un comble…………puisque c’est moi qui la maintiens.
Enfin oublions. Ainsi passé ce dernier hiver pluvieux, j’avais me semble-t-il droit aux joies du printemps.
En cette saison je commence à goûter et à apprécier le sol moelleux, l’herbe naissante, le craquement des brindilles, le début d’un période ni trop froide, ni trop chaude, l’air vivifiant.
Je sers avec entrain, imaginant que mes sorties seront plus nombreuses et variées.
Au lieu de cette perspective, je me vois contraint de marquer le pas. Mon alter ego qui n’est pas gauche, à bon droit de partager mon angoisse. Lui qui me suit pas à pas, fidèlement, depuis notre première balade, est pensif.
Est-ce un châtiment ? Nous n’y croyons pas. Quand mon ami ouvre les portes du placard, de moins en moins souvent, on ne ressent pas l’effervescence habituelle.
Le silence à envahit nos alentours. Les bruits sont feutrés. Aussi inhabituel. on entend très bien le chant des oiseaux.
Et nous avons bien noté, ce matin, ce propos. « Restez chez vous » Alors là, les lacets m’en sont tombés. Pourtant, nous la paire, on a faim de voir nos autres compagnons de marche.
On veut aller par route et par chemin.
On veut pas rester chez vous.
De grâce, sortez-nous, exposez-nous aux rayons du soleil, laissez-nous goûter à l’exaltation de la renaissance…………de temps en temps au moins.
On accepterai même volontiers une place en fin de groupe, sans personne sur les talons servant ainsi la surveillance et le rassemblement, tel un patou ou un border coolie..
Mais je crains de voir notre réclamation jetée aux oubliettes, contraints vous aussi d’attendre de meilleurs jours.
La cause : Un insignifiant, un mediocre, un derisoire, un virus, un minus. Nous ne fermerons donc pas la marche. Puisque l’homme a décidé de mettre fin à la marche……….